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Responsable: Michelle Lecolle
Les discours du développement durable: circulations et tensions
Les enjeux actuels de la transition écologique, du développement durable, de la lutte contre le réchauffement climatique, de la préservation de la biodiversité ou encore de la justice environnementale traversent aujourd’hui de nombreux domaines de la vie sociale et politique. Les discours sur ces thématiques sont investis par des acteurs pluriels (institutions et entreprises, activistes, personnels politiques, médias, scientifiques, artistes...), et peuvent donner lieu à des tensions – tensions entre ces acteurs, mais aussi entre les époques, les temporalités, les aires culturelles, les représentations, les modes de vie et les modèles de société.
Les discours contemporains sont tout à la fois témoins et partie prenante de ces tensions: ils les reflètent, les construisent ou les rapportent – ils en assurent (ou pas) la circulation.
Dès lors, les discours relatifs au développement durable et à la transition écologique nous semblent être un bon observatoire des dynamiques à l’œuvre aujourd’hui dans nos sociétés occidentales. On peut les constater à l’échelle resserrée de certaines expressions comme croissance verte ou écoterrorisme, ou même de mots comme vert ou durable, ou de certains préfixes (comme éco- et bio-) et suffixes (comme -cène dans anthropocène et capitalocène, ou -cide comme dans écocide et zoocide). Elles peuvent être observées à l’échelle d’un essai, d’une tribune. Elles peuvent aussi être décryptées dans des stratégies rhétoriques observables dans la publicité et la communication d’entreprise et susciter en réaction des dénonciations en termes de greenwashing.
Ces phénomènes nous engagent à porter une attention à différents niveaux de l’analyse: variations sémantiques et diversité des usages – notamment selon les langues –, émergence de nouvelles unités linguistiques (terminologie ad hoc, néologismes, séries de mots dérivés), lieux de l’argumentation et phraséologie, stéréotypes et représentations.
Les modes de circulation de ces discours appellent une prise en compte globale, que peut favoriser une approche pluridisciplinaire. Pour ce faire, nos travaux s’orientent en trois axes, qui sont autant d’angles d’approche d’une thématique commune, mais engageant une exploration de différents corpus, avec des problématisations spécifiques :
Axe 1. Circulations et variations entre les ères/aires linguistiques et culturelles
Un premier angle d’approche s’intéresse aux tensions qui peuvent naître de la circulation des discours du développement durable entre les différentes aires linguistiques et culturelles. Par exemple, les expressions française énergie propre et anglaise clean energy renvoient à une même réalité: des énergies non-carbonées. Ces dénominations sont employées dans des discours institutionnels comme ceux de l’ONU, et les directives traductologiques dans ce domaine imposent des traductions mot à mot ; or, en arabe « taka nadifa » / ṭāqa naḏīfa ne sélectionne que le sème de /saleté/: en privilégiant une traduction littérale, on passe totalement à côté du sens de l’expression en français ou en anglais. Par ailleurs, quelle réception peut être faite de cette expression dans des pays où la majorité de la population n’a pas accès à l’électricité ? Il y a manifestement des tensions entre les dénominations et la réalité à laquelle elles réfèrent (ou pas) selon l’aire linguistique de réception, ainsi que les représentations culturelles variables qui peuvent y être associées. Ces tensions peuvent être reconduites ou dépassées dès lors qu’on passe dans d’autres genres de discours, comme les discours de presse – moins soumis à un impératif de reprise littérale que des discours institutionnels. On peut s’interroger sur le mode de circulation de ce type d’expression dans d’autres genres de discours, comme les discours de presse, et observer s’ils sont plus enclins à la reformulation périphrastique ou à la synonymie.
Axe 2. Discours de transmission des connaissance et circulations: discours philosophiques, discours didactiques, discours institutionnels, discours associatifs, discours de presse, réseaux sociaux
En s’appuyant sur des textes portant sur le développement durable et, plus spécifiquement, sur la transition écologique, issus de différentes sphères discursives, l’objectif sera d’éclairer leur fonctionnement afin d’analyser les représentations des connaissances en circulation, en lien avec leurs visées pragmatiques. On cherchera à explorer comment se manifestent les tensions autour d’enjeux, d’évolutions, et si l’on peut repérer des ajustements, des prolongements, des oppositions, des crispations, des détournements. On cherchera également en retour à comprendre comment ces discours eux-mêmes façonnent les enjeux, et en quels termes se cristallisent les débats contemporains.
Axe 3. Circulations, consensus et tensions dans les discours et les genres de discours
Il s’agira d’observer les genres et les discours (institutionnels, médiatiques, politiques, associatifs, philosophiques, etc.) qui participent à la fois à l’élaboration discursive des représentations que recouvrent le développement durable et la transition écologique (consensus) et aux débats argumentatifs qu’ils génèrent (tensions), éventuellement pour reconstruire de nouvelles représentations (sociales, idéologiques, politiques, philosophiques, culturelles), en matière de connaissances. On s’attachera donc à identifier les configurations discursives, à partir des formes langagières, où se manifestent d’une part cette volonté consensuelle et où se déploient d’autre part les tensions, que celles-ci s’actualisent par des luttes sociales, des polémiques, des politiques urbaines, des débats médiatiques, etc. Pour ce faire, on analysera, entre autres, les paradigmes, à partir des discours, des objectifs et des moyens présentés comme devant conduire à des constructions/reconstructions d’un développement durable et d’une transition écologique.
Il va sans dire que ces axes se rencontrent et que les pistes d’analyse qu’ils proposent sont croisées et complémentaires.
Nos explorations seront également l’occasion de réfléchir aux questions que ces enjeux contemporains posent aux différentes disciplines des sciences du langage.
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Nos réflexions antérieures
Les discours du développement durable et de la transition écologique: domaines, sens, transmission
L’opération se donne pour objectif global l’analyse des discours du développement durable et de la transition écologique. Lors de travaux précédents au sein du réseau "Discours, traduction, communication" (Distracom) ou de colloques auxquels les membres de l’axe Sens et discours (Clesthia – Sorbonne nouvelle) ont participé, ont été abordés des discours sur l’environnement, des discours autour de la biodiversité ou autour des déchets à partir des points de vue des sciences humaines, en particulier des sciences du langage et des sciences de l’information et de la communication. Dans le prolongement de ces travaux, il s’agit désormais, à l’heure de nouvelles préoccupations sociétales, de saisir les discours du développement durable et de la transition écologique à partir de différents lieux d’énonciation institués et non institués. On retrouvera par exemple du côté des lieux institués, les discours institutionnels – et leurs éléments de langage –, les publications du GIEC, les discours journalistiques, les discours disponibles sur les sites écologistes ou associatifs, etc.; et du côté des lieux non institués, des séquences repérées dans des discours non prioritairement orientés vers le développement durable et la transition écologique, comme des séquences présentes sur des sites d’entreprises, d’universités, sur des étiquettes alimentaires, dans des journaux télévisés, dans des rubriques radiophoniques, dans des publi-informations, etc. Cette opération sera l’occasion de travailler autour de trois axes:
1. Domaines et discursivité: types, genres, textes, corpus
Sur le plan institutionnel (gouvernement, organisations, associations, etc.), les termes "développement durable" et "transition écologique" sont intimement liés. Dans ce premier axe, on cherchera à comprendre, à partir des discours institués, comment les différents domaines auxquels ils réfèrent se configurent l’un par rapport à l’autre, voire comment ils reconfigurent d’autres domaines qu’ils englobent pour constituer des macro-domaines. Mais ces termes circulent également en dehors des institutions puisqu’on les retrouve dans les forums de discussion, sur Wikipédia, sur Twitter, Facebook, Instagram, YouTube, TikTok et autres réseaux sociaux, et permettent au plus grand nombre de partager et de construire une (autre) vision de ces domaines. Ainsi, à partir des discursivités présentes sur les réseaux, on s’interrogera sur les similitudes et les différences observables entre discours institués et discours non institués et sur la manière dont ces domaines participent de fait à l’hybridité des genres discursifs.
2. Sens: nomination, catégorisation, sémantique discursive
Ce deuxième axe sera l’occasion de travailler les domaines notionnels et sémantiques, leur stabilité et leur instabilité, à travers le florilège des dénominations et leurs usages différenciés dans la diversité des discours, institutionnels et non institutionnels. Il s’agit d’observer les dynamiques et les choix qui s’opèrent autour des termes et expressions utilisés, les manières dont ils sont travaillés et négociés, les manières dont ils fluctuent au sein de différentes communautés discursives, et la concurrence qui s’opère entre eux pour catégoriser des réalités – elles-mêmes parfois instables et indéfinies, ou propres à chaque communauté –, des événements, des phénomènes, des acteurs – humains ou non humains, collectifs ou individuels, anonymes ou célèbres.
3. Transmission et vulgarisation: (in)formation et connaissances
Le dernier axe visera à interroger les configurations discursives qui participent à la transmission des informations et/ou des connaissances liées au développement durable et à la transition écologique qui forment des ensembles discursifs poreux favorisant de nouvelles (pro)positions pour une (ré)organisation de l’information et des connaissances à des fins institutionnelles, politiques, sociétales et citoyennes. Une interrogation sous-jacente de fond concerne également la frontière entre ce qui relève de l’information en tant que telle et ce qui pourra faire l’objet de discours de vulgarisation ; les macro-domaines du développement durable et de la transition écologique sont alors l’occasion de mettre à l’épreuve la notion d’infox (fake news), et de s’interroger sur la réalité et la diversité des discours complotistes. De fait, avec internet et la multiplication des sources énonciatives, avec le passage des énonciations intermédiaires reconnues vers des énonciateurs lambda comme les « amateurs », se pose la question du rapport à la vérité à un moment donné.
Voir aussi:
JE "Les discours du développement durable et de la transition écologique: domaines, sens, transmission", 25-26 mai 2023
mise à jour le 9 avril 2025