Jacques Ramel

Université Lumière Lyon 2

Jacques.Ramel@univ-lyon2.fr

 

 

 

Quelques problèmes soulevés par le Songe d'une Nuit d'Été

et leurs répercussions sur la mise en scène

 

Les critiques qui ne pensent pas que le Songe a été conçu à l'origine pour un mariage princier, comme un épithalame sous forme théâtrale en quelque sorte, font souvent remarquer que la première pièce anglaise de la Renaissance dont on ait la certitude qu'elle fut écrite pour un mariage, Hymen's Triumph, de Samuel Daniel, a été écrite en 1614, soit près de deux décennies après le Songe. D'autres arguments existent contre l'hypothèse de l'épithalame, et ces arguments ont été abondamment cités par les quelques critiques qui récusent cette hypothèse.

Le détail de l'intrigue du Songe n'est sans doute pas un très bon choix pour un épithalame : même si nous acceptons que l'idée de faire mourir en scène le couple de jeunes mariés au cinquième acte ne soit pas choquante, puisque cet acte joue dans la représentation le rôle de l'antimasque, qui fonctionne traditionnellement à rebours de l'argument principal, on trouverait facilement dans le reste de l'intrigue de la pièce de quoi fâcher tous les participants à une noce : les jeunes hommes qui fixent leur affection sur un coup de tête et sont prêts à changer de partenaire chaque fois qu'ils ouvrent les yeux, tout en promettant à chacune qu'elle est l'unique et la seule ; le silence d'Hippolyte au premier acte, qui semble être le signe d'une bouderie, voire d'une brouille, à quatre jours du mariage ; cet autre silence, peut-être encore plus pesant, le silence de Hermia et de Helena au cinquième acte souvent interprété comme l'expression d'une réticence devant le prix à payer pour aboutir à l'harmonie finale ; la représentation du père sous les traits d'Égée, borné et égoïste – même si Shakespeare nous a épargné les autres parents, dont les rôles sont pourtant distribués par Peter Quince au premier acte.

Égée veut la mort de sa fille, les Amazones tuaient leurs enfants mâles à la naissance et le "changeling" a tué sa mère en venant au monde : là encore, le Songe n'est pas le meilleur des choix comme spectacle pour de futurs parents. Mais le schéma va perdurer : la mythologie, relayée pour nous par le Phèdre de Racine, nous rappelle que le fils parfait qui naîtra de cette union ducale, Hippolyte, mourra à son tour, accusé à tort par sa belle-mère Phèdre, condamné par son père Thésée et mis à mort par Neptune.

L'hypothèse du Songe comme épithalame est souvent liée à l'idée que les rôles des fées auraient été écrits pour de très jeunes enfants non formés pour le théâtre. Si cette hypothèse résout le problème du nombre de jeunes acteurs nécessaires pour la première représentation, elle n'explique pas comment le Songe a pu être joué par la suite dans les théâtres publics de Londres. Et d'autre part, si le rôle des quatre fées qui entourent Bottom est simple, les deux autres fées qui apparaissent au second acte ont un texte d'une grande difficulté, faisant alterner le rythme iambique et le rythme trochaïque, qui exige une formation d'acteur.

Par contre, si la pièce semble nécessiter un grand nombre de "boy-actors", il est un personnage qui aurait très bien pu être joué par un acteur masculin adulte : il s'agit d'Hippolyte, décrite par Titania dans des termes qui évoquent l'androgynie. Hippolyte doit s'imposer au tout début de la pièce comme le centre des regards et des interrogations des spectateurs, et rester le centre d'intérêt pendant qu'Égée joue devant la Cour ce qui est proche d'une pièce dans la pièce.

Nous sommes encouragés à considérer toute l'intrigue des amoureux comme un divertissement donné à la Cour, ce qui explique qu'à aucun moment la transgression de la loi athénienne n'ait lieu ; Thésée imagine néanmoins, à tort, qu'elle a eu lieu, mais pardonne immédiatement la transgression en la mettant sur le compte d'un carnaval tardif : la transgression devient ainsi impossible, justifiée par Thésée comme célébration d'un rite.

La fuite d'Athènes n'était pas non plus une transgression, étant envisagée plutôt comme stratégie de contournement de la loi ; comme le montrent les notations de distance parsemées dans le texte, les amoureux ne font en fait que se rapprocher du parc du palais et se retrouvent au cœur même du lieu du pouvoir, au pied du chêne du Duc, si bien qu'au quatrième acte le Duc peut déclarer que les amoureux sont venus à sa rencontre pour fêter son mariage.

La transgression, sans cesse évoquée, n'a jamais lieu dans le Songe : de la même façon, le chaos écologique évoqué par Titania reste purement virtuel, sans aucun effet sur le monde de la pièce, restant sur le même plan imaginaire que le chaos cosmique évoqué par Ulysse dans Troilus and Cressida. Cette évocation ne permet en aucun cas d'utiliser la pluie lors d'une mise en scène – même si Adrian Noble, dans sa production de 1994, déplace astucieusement la pluie au premier acte et fait récupérer par les esprits chapardeurs les parapluies désormais inutiles pour créer quelques images d'une grande beauté.