Titre: Néologie militante et langage-action: les termes au service de l’action climatique?

Résumé: Prototypiquement mobilisée pour nommer de nouvelles réalités, l’innovation lexicale peut également constituer une stratégie pour imaginer ce qui pourrait être, en témoigne son recours abondant dans la science-fiction (Poix 2020). En raison de l’effet d’hypostatisation impliqué par la nomination — selon lequel l’existence d’un nom pour une entité donne l’impression que celle-ci existe ou pourrait exister dans l’extralinguistique (Poix 2020: §3.1, Schmid 2008: 5) — le néologisme peut être un outil puissant pour se représenter de nouvelles façons d’être au monde, plus en accord avec les défis socio-environnementaux contemporains tels que le changement climatique. Par extension, la néologie, en tant que discipline étudiant l’innovation lexicale, peut s’envisager comme ayant un rôle à jouer vis-à-vis de ces défis dans la mesure où elle faciliterait l’identification et la diffusion des néologismes en question. Ce potentiel reste cependant sous-documenté, malgré le besoin de nouveaux récits pour répondre aux défis socio-écologiques (Stibbe 2024).

Cette intervention explore ainsi le rôle potentiel de la néologie vis-à-vis de l’objectif d’action climatique, et plus largement, de ce qui tend à être décrit comme une « transition écologique ». L’analyse repose sur deux corpus complémentaires: d’une part, des rapports d’expertise et articles de presse anglophone dédiés à la question climatique (Bureau 2023), et d’autre part, un corpus exploratoire constitué d’essais, du métatexte d’œuvres artistiques et de pratiques transdisciplinaires émergentes à visée spéculative et expérimentale. À partir de ces sources, trois grandes familles de néologismes sont identifiées: termes-catastrophes à visée connotative, néologismes normatifs dénotant des valeurs, et innovations lexico-ontologiques exprimant un rapport renouvelé au vivant. En croisant les perspectives de la néologie (Humbley 2018, Sablayrolles) et de la sémantique discursive (Lecolle et al. 2018), nous montrons comment ces néologismes s’articulent à différentes étapes du processus de transition écologique – la conscientisation, l’action, et la transformation – et nous interrogeons les implications et limites potentielles de leur usage vis-à-vis de ce processus.

Références

• Bureau, Pauline. 2023. « Variation terminologique et néologie dans le domaine du changement climatique ». Thèse de doctorat en linguistique anglophone, Université Grenoble Alpes. URL: https://theses.fr/2023GRALL010
• Humbley, John. 2018. La Néologie terminologique. La Lexicothèque. Limoges: Lambert-Lucas. 
• Lecolle, Michelle, Marie Veniard & Olivia Guérin. 2018. « Pour une sémantique discursive: propositions et illustrations ». Langages [En ligne] 210/ 2, 35–54. DOI: https://doi.org/10.3917/lang.210.0035.
• Poix, Cécile. 2020. « L’hypostatisation des occasionnalismes poétiques dans la littérature pour la jeunesse ou l’innovation lexicale suffit-elle à poser l’existence d’une entité fictive ? » Neologica : revue internationale de la néologie, Perception, réception et jugement des néologismes 14 (juillet), 145‑66. https://doi.org/10.15122/isbn.978-2-406-10571-8.p.0145.
• Sablayrolles, John. 2007. « Nomination, dénomination et néologie: intersection et différences symétriques ». In Humbley, John & Jean-François Sablayrolles (dir.), Neologica [En ligne] 1, 87–99. DOI: https://doi.org/10.15122/isbn.978-2-8124-4227-8.p.0091.
• Schmid, Hans-Jörg. 2008. « New Words in the Mind: Concept-Formation and Entrenchment of Neologisms ». Anglia - Zeitschrift Für Englische Philologie 126, 1–36. DOI: https://doi.org/10.1515/angl.2008.002.
• Stibbe, Arran. 2024. Econarrative: Ethics, Ecology, and the Search for New Narratives to Live By. London, New York, Oxford, New Delhi, Sydney: Bloomsbury Academic.