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À quoi pensent les Suds ? Question méridionale, question subalterne, question coloniale

le 10 février 2025
 

Journée d'études

Il revient à Gramsci d’avoir établi dans ses « Notes sur la question méridionale » de 1926 en quoi le Sud est fantasmé par le Nord comme l’enfer sur terre. Il note : « On sait quelle idéologie les propagandistes de la bourgeoisie ont répandu par capillarité dans les masses du Nord : le midi est le boulet de plomb qui empêche l’Italie de faire de plus rapides progrès dans son développement matériels, les méridionaux sont biologiquement des êtres inférieurs, des semi-barbares ». L’immense mérite de cette analyse est de souligner en quoi, dans la naissance d’une nation récente comme l’Italie, l’unification s’établit au prix d’une hiérarchie stricte entre le Nord et le Sud. Le clivage Nord-Sud semble fonder par avance un droit de colonialité du Sud par le Nord, comme Gramsci le rappelle dès 1920: « la bourgeoisie septentrionale a soumis l’Italie du Sud et les îles, et les a ravalées au rang de colonies d’exploitation » («Operai e contadini», L'Ordine Nuovo, I, 32, 3 janvier 1920). Renversant un tel impératif colonial en s’intéressant à un ensemble de pratiques méridionales subalternes, Gramsci a forgé un programme de travail neuf qui nous oblige à analyser les relations entre méridionalité, subalternité et colonialité afin de mieux comprendre les processus d’hégémonie à l’œuvre dans les relations Nord-Sud et d’analyser les formes de vie culturelles du Sud en termes d’alter-politique. La question se concentre notamment, mais pas exclusivement, sur celle de la représentation politique puisqu’il s’agit de savoir si, par exemple, la Sardaigne (à laquelle se réfère Gramsci) forme un tout culturel à ce point cohérent qu’il rend possible et souhaitable l’union des bourgeois sardes et des pauvres paysans ou s’il est relais de l’hégémonie du Nord qui doit être brisé au profit de nouvelles coopérations révolutionnaires entre les ouvriers du Nord et les paysans du Sud. Quelles sont les subjectivations à l’œuvre dans l’éventail des façons de s’orienter dans les pensées alternatives des Suds? En quoi l’analyse de Gramsci peut-elle être reprise pour répondre à cette question?

Pendant longtemps le Sud a été l’autre du Nord. Tout comme il y eut une invention de l’Orient décrite en 1978 par Edouard Saïd dans son livre Orientalisme. L’Orient par l’Occident, qui a correspondu à la façon dont l’Occident a rêvé l’Orient notamment au 19ème siècle pour mieux se définir et affirmer sa suprématie, il y a eu une invention du Sud par le Nord pour évoquer ou bien une altérité exotique source de dépaysement, ou bien une réalité redoutée. Les centres occidentaux et hégémoniques ont créé leurs périphéries continentales, coloniales, nationales. Le Sud est né comme la substance de ces ailleurs redoutés ou désirés. Dans ce registre, le Nord n’a cessé d’écrire, de mettre en images le Sud pour mieux le tenir à distance, pour se l’approprier et en annuler toutes les puissances propres. Cette histoire des représentations des Suds a privé les habitantes et habitants du Sud d’un langage qui n’aura jamais finalement été le leur et aura toujours parlé à leur place, en les réduisant définitivement au silence. La mythographie des îles, des Amériques, de l’Afrique, de la Méditerranée est devenue l’envers d’un Nord puissant et arrogant, en position de pouvoir et de savoir, en capacité de produire les épistémologies officielles.

En se demandant à quoi pensent les Suds, cette journée d’études, dans le prolongement du colloque organisé en février 2024 sur l’œuvre d’Ernesto De Martino, souhaite, d’une part, réinterroger les représentations dominantes fondatrices du Sud, mais veut surtout, d’autre part, mettre en relief des narrations, des réflexions alternatives produites par et pour le Sud et susceptibles de développer toute leur potentialité subversive. 

Plusieurs axes seront développés :
1. Un retour aux sources de Gramsci depuis le texte fondateur des Cahiers de prison sur la subalternité incluant une mise en perspective dans la littérature et l’anthropologie italienne (Carlo Levi, Ernesto De Martino).
2. Une analyse de la colonialité et de la méridionalité dans le contexte italien du 20ème siècle.
3. Un élargissement vers différentes façons dont le Sud regarde le Sud à partir de différentes aires géographiques privilégiées comme le Brésil et le Bénin.
 

Organisation

Guillaume le Blanc (Université Paris Cité)

Francesca Belviso (Université Sorbonne Nouvelle)


Type :
Colloque / Journée d'étude
Lieu(x) :
Maison de la Recherche - 4 rue des Irlandais - 75005 PARIS
 Salle Athéna
Partenaires :
Institut Universitaire de France (IUF)
Université Paris Cité 
Laboratoire du Changement Social et Politique (LCSP)

mise à jour le 23 janvier 2025