Présentation
« A priori, la reproductibilité est le propre du théâtre (du moins du théâtre non performatif) : d’un soir àl’autre, les comédiens reproduisent un spectacle après l’avoir longuement répété. Partie prenante de ce processus de réitération, chaque représentation singulière diffère néanmoins partiellement des précédentes et des suivantes (ne serait-ce que parce que le public lui-même peut être « bon » ou « mauvais » selon les soirs, comme le disait notamment Louis Jouvet). Soumise aux aléas du « spectacle vivant » et de la création « en direct » (live, dit aussi l’expression anglaise), elle porte en elle la possibilité de variations plus ou moins importantes, capables d’en modifier tant la production que la réception, alors même que sa reprise quotidienne implique un protocole de duplication relativement strict.
Qu’advient-il dès lors dès que cette représentation fait l’objet d’une reproduction pour ainsi dire « au carré » par des moyens techniques qui en figent les apparences (photographie, vidéo, enregistrement sonore, « bande-annonce », etc.), et quelles conséquences cette dernière produit-elle sur le processus de création initial ? La perte de l’aura dont parlait Benjamin (L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité
technique), en pensant notamment à l’avènement de la photographie, joue-t-elle totalement en défaveur d’un art supposé être celui de la « présence » ou bien encourage-t-elle l’advenue d’une autre scène à même d’enrichir voire de renouveler la perception que l’on a du spectacle en direct ? Le théâtre se perd-il tout à fait dans ce processus de reproduction technique, ou bien y trouve-t-il matière à se réinventer tant sur le plan de sa réception que sur celui de sa production, ou bien encore des façons de se penser lui-même ? Quel rôle joue ce même processus dans la diffusion et la « conservation » (avec toute l’ambiguïté de ce terme et ses enjeux pédagogiques notamment – qu’on pense au rôle des Conservatoires) du spectacle vivant ?